Frais d'enquête d'un détective privé : et si c’était votre adversaire qui les payait ? Le rôle de l’article 700 du CPC
- PROCAP DETECTIVE
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Dernière mise à jour : il y a 23 heures

Lorsqu’on engage une procédure en justice, une inquiétude revient souvent : combien cela va-t-il coûter? Et surtout, qui paiera les frais afférents aux instances, aux actes judiciaires et aux démarches humaines et administratives qui en découlent?
Soyons clairs : une procédure judiciaire est une démarche coûteuse et les dépenses peuvent rapidement s’accumuler. En matière civile, le principe est que la partie perdante supporte généralement les frais inhérents à la procédure, appelés les dépens, dont la liste est énoncée à l'article 695 du Code de procédure civile.
Mais dans les faits, les dépenses réellement engagées dans une procédure dépassent très souvent l’enveloppe des charges liées aux dépens. Il existe en effet toute une catégorie et un ensemble de frais supplémentaires qui ne sont pas compris dans les dépens et qui peuvent constituer un coût non négligeable: les honoraires d'avocat, les frais liés à une enquête de détective privé, les expertises ou de constats amiables, les frais de déplacements, frais de documentation, etc...
Beaucoup de justiciables l’ignorent, mais une partie de ces frais de procédure peut être mise à la charge de la partie perdante. Comment ? Grâce à une disposition clé du Code de procédure civile : l’article 700. Un texte qui permet, sous certaines conditions, de faire supporter à l’adversaire les frais de procédure en sus des dépens, y compris – et c’est une excellente nouvelle – les frais d’enquête d’un détective privé.
Focus sur le mécanisme de l’article 700 du CPC, encore trop souvent méconnu des justiciables.
Que prévoit l’article 700 du Code de procédure civile?
L’article 700 du CPC énonce : « Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. »
En d’autres termes, le juge peut décider que la partie perdante rembourse à son adversaire les frais que celui-ci a dû engager pour faire valoir ses droits, et qui ne figurent pas dans les dépens.
Les dépens regroupent les frais strictement liés à la procédure judiciaire. Ceux-ci sont énumérés à l'article 695 du Code de procédure civile. Il s'agit:
Des droits, taxes et émoluments perçus par les greffes et l’administration fiscale,
Des frais d’huissier, de traduction et d’interprétariat imposés par la loi ou les conventions internationales,
Des indemnités de témoins et la rémunération des experts et techniciens,
Des émoluments des officiers publics ou ministériels,
Des honoraires d’avocat uniquement dans la part réglementée (droits de plaidoirie),
Frais d'enquêtes sociales ordonnées par le juge
Certains frais spécifiques : notification d’actes à l’étranger, rémunération de la personne désignée par le juge pour entendre le mineur, ou mesures particulières prévues par le code civil.
A la différence des dépens, les frais dits “non compris dans les dépens” sont appelés les "frais irrépétibles". Le qualificatif "irrépétible" renvoie au fait que ces frais ne sont pas recouvrables automatiquement, ou d'office, mais doivent être explicitement demandés par la partie qui les sollicite au titre de l'article 700 du CPC et soumis à l'appréciation du juge. Sont compris dans cette catégorie les honoraires d’avocat, les constats non obligatoires ou les frais d'enquête d’un détective privé. Ces frais ne sont pas automatiquement pris en charge par la partie perdante, mais cela ne signifie qu'ils seront uniquement à votre charge: vous pourrez toujours demander au juge que ces frais soient supportés par la partie adverse sur le fondement de l'article 700 du CPC.
Exemples concrets :
Si vous assignez votre adversaire, les frais d’huissier pour délivrer l’assignation sont des "dépens" prévus à l'article 695 du CPC, ils sont donc automatiquement remboursés par la partie qui succombe au procès.
En revanche, si vous mandatez un détective privé pour prouver un détournement de clientèle, un adultère, une faute contractuelle, cette dépense est une charge non comprise dans les dépens, elle constitue un "frais irrépétible". La partie ayant gagné le procès peut en solliciter la prise en charge par l'autre partie, sur le fondement de l'article 700 du CPC.
Les frais d’enquête privée reconnus par la jurisprudence
Contrairement à une idée reçue, les frais d’enquête de détective privée ne sont pas considérés comme de simples dépenses “superflues” ou “accessoires”. Lorsqu’ils se révèlent utiles à la manifestation de la vérité, ils peuvent être pris en compte par le juge et remboursés au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Le recours à un détective privé constitue parfois une nécessité et l'unique moyen pour un justiciable de prouver un fait et exercer efficacement son droit. Il est donc normal que la justice admette que cette dépense soit éligible à sa prise en charge par la partie défaillante.
La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises que les honoraires d’un détective privé pouvaient être mis à la charge de la partie perdante, dès lors que l’enquête apportait une preuve déterminante et qu’elle s’inscrivait dans le cadre nécessaire pour la défense des intérêts du justiciable.
Dans deux arrêts de Cour d'appel (CA Paris 29/01/1988 et 22/12/2000) et une décision du tribunal de commerce (TC Créteil 27/01/1999) la demande de remboursement des honoraires du détective privé a été acceptée. Les juges ont considéré que les investigations de ce dernier étaient nécessaires pour assurer la défense de la partie requérante.
Ces jurisprudences illustrent une constante : dès lors que l’enquête privée contribue directement à la solution du litige, les frais d'enquête ne peuvent pas être relégués au rang de dépenses superfétatoires. Ils deviennent alors de véritables frais de procédure nécessaires, que le juge peut légitimement faire supporter à la partie perdante sur le fondement de l’article 700 CPC.
Dans quelles situations une enquête de détective peut-elle être remboursée ?
Une enquête privée peut être remboursée au titre de l’article 700 du Code de procédure civile lorsqu’elle est jugée utile, proportionnée et nécessaire pour la défense des intérêt du requérant. Voici des exemples concrets où les frais d’un détective privé peuvent être mis à la charge de la partie perdante :
Divorce ou séparation: Un rapport de détective peut établir l’existence d’un adultère, d’une relation stable dissimulée ou d’un concubinage caché. Ces éléments ont un impact direct sur la résolution du divorce, la fixation d’une pension alimentaire ou d’une prestation compensatoire. Le juge peut alors considérer que les honoraires du détective privé, nécessaires à la manifestation de la vérité, sont éligibles au remboursement par l’autre partie.
Conflits familiaux: Dans certains cas, il est essentiel de vérifier les conditions de vie réelles d’un enfant ou le respect du droit de garde par l’un des parents. Un rapport d’enquête peut démontrer des manquements au droit de l'enfant (enfant laissé seul, exposition à des risques, carences éducatives ou maltraitances, etc.). Dans ce contexte, les frais d’enquête peuvent être pris en compte par le juge, car ils servent directement l’intérêt supérieur de l’enfant et donner droit à la partie demanderesse au remboursement des frais d'enquête.
Litiges du travail: Un employeur peut mandater un détective pour vérifier les agissements d’un salarié en arrêt maladie suspect. Si l’enquête prouve que le salarié exerce une autre activité professionnelle non déclarée, cela peut constituer une faute grave. Les frais de cette enquête, déterminants pour la procédure prud’homale, peuvent légitimement être réclamés à la partie perdante.
Litiges commerciaux: Les entreprises recourent régulièrement à des détectives pour mettre au jour des actes de concurrence déloyale, de détournement de clientèle ou de vol interne. Dans de tels cas, le rapport constitue une pièce essentielle au succès de l’action judiciaire. Les frais engagés, proportionnés à l’enjeu économique, peuvent donc être remboursés par la partie condamnée.
Baux et immobilier: Un propriétaire peut faire appel à un détective pour prouver une sous-location interdite, une occupation illégale ou un manquement grave d’un locataire. Dans ce cas, l’enquête est directement liée à la défense de ses droits de bailleur et peut être considérée comme remboursable par la partie adverse.
Assurances: Dans les dossiers de fraude, comme une fausse déclaration de sinistre, un incendie volontaire ou un accident mis en scène, l’enquête d’un détective permet de démontrer la supercherie. Puisqu’elle est indispensable à la contestation d’une demande abusive, son coût peut être mis à la charge de l’assuré fraudeur.
Créances et recouvrement: Certains débiteurs organisent leur insolvabilité ou dissimulent des biens pour échapper à leurs créanciers. L’intervention d’un détective privé peut permettre de localiser le débiteur et d'évaluer son patrimoine réel. Lorsque ces preuves s’avèrent déterminantes, les frais d'enquête correspondants peuvent être récupérés auprès du débiteur condamné.
Comment maximiser vos chances de remboursement
Pour que les frais d’enquête de détective privé soient effectivement pris en charge au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, certaines règles pratiques doivent être respectées. En voici les principales :
1. Formuler une demande explicite: Le juge ne statue pas d’office sur les frais non compris dans les dépens. Il est donc indispensable que votre avocat, ou vous-même si vous agissez sans représentation, demandiez clairement l’application de l’article 700 CPC dans vos conclusions. Sans cette démarche, aucun remboursement ne pourra être envisagé.
2. Justifier l’utilité de l’enquête: Il ne suffit pas d’affirmer que l’enquête était nécessaire. Il faut démontrer en quoi elle a apporté des éléments de preuve indispensables à la résolution du litige. Plus l’enquête est directement liée à l’objet de la procédure (concurrence déloyale, détournement de clientèle, fraude, train de vie dissimulé, adultère, etc.), plus elle a de chances d’être reconnue comme légitime par le juge.
3. Produire des justificatifs complets: Les frais doivent être réels, précis et documentés. Ces pièces attestent du sérieux de la démarche et permettent au magistrat d’apprécier la proportionnalité entre le coût de l’enquête et son utilité. Il est donc essentiel de présenter au juge :
La facture détaillée du détective privé,
Un rapport justifiant de l'utilité de l'enquête pour la procédure,
Le contrat de mission,
4. Rester proportionné dans le montant réclamé: Même si l’enquête a coûté cher, le juge évaluera toujours le rapport entre le montant sollicité et l’importance du litige. Une demande excessive risque d’être réduite, voire rejetée. À l’inverse, une demande raisonnable, en phase avec l’enjeu financier et juridique de l’affaire, a beaucoup plus de chances d’aboutir.
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