Quand, en tant que détectives privés agréés, nous traitons d'une problématique inhérente à la sphère familiale (adultère, divorce, autorité parentale, garde d'enfant, pension alimentaire, prestation compensatoire, communauté de vie, etc.), nous savons que le résultat de notre travail de recueil de preuves est susceptible de finir entre les mains d'un juge aux affaires familiales, qui, indubitablement, lira avec attention notre rapport, en appréciera la teneur, et nous l'escomptons autant que possible, s'en appuiera pour fonder sa décision et trancher le litige.
Magistrat incontournable dans les règlements des contentieux relatifs au droit de la famille, le Juge aux affaires familiales (JAF) est une figure paradoxalement méconnue. Quel est précisément son rôle ? Quelle utilité a un rapport de détective privé dans une affaire familiale? Peut-on produire un rapport de détective privé devant le JAF ?
Focus sur une juridiction dans laquelle les détectives privés jouent un rôle déterminant.
Rôle du Juge aux affaires familiales
Le Juge aux affaires familiales (le JAF) est un magistrat spécialisé en matière familiale. Il a compétence sur la plupart des contentieux ou des sujets qui touchent à la famille. Institué par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et instituant le juge aux affaires familiales, le Juge aux affaires familiales succède, depuis 1993, au juge aux affaires matrimoniales. Juge aux compétences transverses, le JAF est le magistrat par excellence dévolu aux questions complexes inhérentes à la sphère familiale (couple, enfant, famille, patrimoine).
Les compétences du Juges aux affaires familiales sont essentiellement prévues par les articles L213-3 et L213-3-1 du code de l'organisation judiciaire. En effet, il est compétent pour connaître :
« 1° De l'homologation judiciaire du changement de régime matrimonial, des demandes relatives au fonctionnement des régimes matrimoniaux et des indivisions entre personnes liées par un pacte civil de solidarité ou entre concubins, de la séparation de biens judiciaire, sous réserve des compétences du président du tribunal judiciaire et du juge des tutelles des majeurs;
2° Du divorce, de la séparation de corps et de leurs conséquences, de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux, des personnes liées par un pacte civil de solidarité et des concubins, sauf en cas de décès ou de déclaration d'absence ;
3° Des actions liées :
a) A la fixation de l'obligation alimentaire, de la contribution aux charges du mariage ou du pacte civil de solidarité et de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants ;
b) A l'exercice de l'autorité parentale ;
c) A la révision de la prestation compensatoire ou de ses modalités de paiement ;
d) Au changement de prénom ;
e) A la protection à l'encontre du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin violent ou d'un ancien conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin violent ;
f) A la protection de la personne majeure menacée de mariage forcé.
4° Des demandes d'attribution à un concubin de la jouissance provisoire du logement de la famille en application de l'article 373-2-9-1 du code civil. »
« Le juge aux affaires familiales exerce les fonctions de juge des tutelles des mineurs.
Il connaît :
1° De l'émancipation ;
2° De l'administration légale et de la tutelle des mineurs ;
3° De la tutelle des pupilles de la nation. »
Juge du contentieux familial, les compétences du JAF se sont vues élargies, au fil du temps et des réformes, à un vaste périmètre d’attributions, incluant le renforcement des fonctions de protection d’urgence face aux violences conjugales. S’il ne connaît pas, cependant, des questions relatives aux mesures d’assistance éducative des mineurs en danger, ou de la délinquance des mineurs, dévolues au Juge des enfants, ni des affaires relatives aux régimes de protection des majeurs, dévolues au Juge des tutelles, ni non plus des questions intéressant l’adoption ou les successions, le JAF occupe une place prépondérante et joue un rôle pivot, pour ne pas dire central, dans ce qu’il convient d’appeler les juridictions familiales rattachées à un tribunal judiciaire.
La saisine du JAF
Le Juge aux affaires familiales peut être saisie par voie de requête ou par assignation. La juridiction familiale compétente est alors celle du lieu de résidence de la famille, ou en cas de résidence séparée, celle du lieu de résidence principale de l’enfant ou, à défaut, celle du défendeur. La représentation d’un avocat, bien que fortement conseillée, n’est pas toujours obligatoire, sauf pour les demandes de divorce.
La procédure devant le Juge aux affaires familiales est dite « orale » et contradictoire. L’oralité de la procédure ne réfère pas ici à l’absence d’écrit ou de formalisme, mais à la manière dont les prétentions et les arguments des parties sont exposées devant le Juge lors de l’audience. En effet, ces dernières, personnellement ou par l’intermédiaire de leur avocat, exposent oralement leurs demandes et prétentions et présentent mutuellement leurs preuves et justificatifs.
Préalablement à la tenue de l’audience, qui se déroule dans le huis-clos du cabinet du JAF, lequel statue à siège unique, les parties se seront obligatoirement échangées des pièces et documents, et ce aux fins de respecter le principe du contradictoire sur lequel veille scrupuleusement le magistrat. Si l’une des parties ne respecte pas cette communication préalable des pièces, le juge n’est pas tenu de prendre en compte une pièce non communiquée ou tardivement transmise, et peut décider d’un renvoi aux fins de permettre à l’autre partie d’en prendre connaissance.
Lors de l’audience, le JAF entend les parties, et conduit le débat en assurant le respect du contradictoire On dit souvent, et faussement d'ailleurs, que l’audience devant le JAF est l’occasion d’un grand déballage conjugal, et la présentation cinématographique de cette rencontre en donne souvent une image théâtralement risible. Dans la réalité et la plupart du temps, l’audience devant le JAF se déroule dans la sérénité la plus absolue, le Juge veille alors à la solennité des débats et au respect mutuel. En vue de trancher le litige, dont il a la charge, le juge peut être amené à poser toutes questions utiles à la manifestation de la vérité, guidé par des principes directeurs, tels qu'entre autres l’équité et la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Si, par exemple, le litige porte sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le JAF peut être amené à demander n’importe quelle information ayant trait au projet des parents vis-à-vis de l’enfant : choix de scolarité, de loisir, de résidence, des dispositions prises par chacun des parents vis-à-vis des droits de l’autre parent, de la situation professionnelle, de la disponibilité pour l’enfant, de l’organisation familiale antérieure, des aspirations morales et philosophiques de chacun, etc. Il arrive parfois que les questions du JAF désarçonnent par leur niveau de précision, lequel n’hésite pas, par souci de vérité judiciaire, à sonder l’intimité du couple ou de la maisonnée, et ce d’autant plus lorsque l’affaire est conflictuelle, ou lorsque les intérêts d’un enfant sont en jeu. Néanmoins il convient de tempérer et de rappeler que cet épanchement du magistrat sur la vie des parties au litige est non seulement saine d’un point de vue juridique (cela permet d’établir la vérité aux fins de régler des situations parfois inextricables), mais également régulier compte tenu des prérogatives du magistrat, lequel est souverain dans son pouvoir d’appréciation et libre dans la conduite des débats.
Quelles preuves puis-je produire devant le JAF ?
La « preuve » est une notion essentielle dans le droit français. C'est la base même de toute justice, dont elle est consubstantielle. Autant le dire clairement, un fait, une prétention, un argument ou une demande en justice, sans preuve pour l'étayer, n'existe tout simplement pas et ne pourra jamais prospérer. Selon le vieil adage romain «Idem est esse aut non probari », c'est la même chose de na pas être ou de ne pas être prouvé. Que ce soit en matière civile, pénale ou commerciale, la "preuve" est un élément fondamental, si ce n'est le nerf central.
Dans le contentieux familial, que ce soit en matière de divorce, de garde d’enfant, de prestation compensatoire ou de pension alimentaire, et d’une manière plus générale dans le procès civil, la preuve est dite libre et peut être apportée par tout moyen. "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention" (art.9 du Code de procédure civile). Le juge, garant de l’impartialité des débats et du respect du contradictoire, a pour office de trancher le litige et tirer les conséquence sur la base des éléments qui lui sont soumis. Néanmoins, pour qu’une preuve soit recevable, des conditions doivent être respectées, lesquelles sont forgées par la loi et la jurisprudence :
Condition de licéité: une preuve doit être licite. Une preuve obtenue par violation de la loi, soit par contrainte, violence, menace, chantage, corruption, ou en violation des droits de la personne au respect de sa vie privée est irrecevable;
Condition de loyauté: la preuve doit être loyale. Une preuve obtenue en recourant à la ruse, à des manœuvres frauduleuses, à la tromperie est également irrecevable. Condition de proportionnalité: la preuve doit être obtenue en utilisant des moyens proportionnés au but recherché. Condition de nécessité: la preuve doit être en lien direct avec le fait reproché, la prétention soutenue ou l'intérêt défendu. Une preuve n'a de sens que par rapport à un droit prétendu ou un obligation alléguée. Une preuve qui n’a aucun lien avec l’objet recherché est vaine, car elle n'en est tout simplement pas une.
A titre d’exemple, des enregistrements audios obtenus à l’insu d’une personne et sans son consentement, les captations d’image dans un lieu privé, la consultation téléphonique ou de messagerie sans autorisation, le vol de mots de passe, le geotracking, la violation de correspondance ou de secret, sont strictement interdits. (Une inflexion toute récente admet cependant certains modes de preuves jugés déloyaux notamment dans des affaires de violences conjugales. C’est le cas par exemple de l’enregistrement audio clandestin qui dans certaines circonstances de violence au sein du couple peut-être admis. Cette inflexion ne constitue cependant pas encore une règle et demeure une exception).
Sous réserves qu’ils aient été obtenus en respectant les conditions ci-dessus énoncés (licéité, loyauté, proportionnalité et nécessité), les pièces ci-dessous énoncés peuvent être produites dans le procès civil en tant qu’éléments de preuve (liste non-exhaustive) :
Attestations de tiers
Lettres, courriers
Factures
Les SMS, les emails
Contenus de réseaux sociaux
Constat d’huissier
Enregistrement audio
Extrait de comptes bancaires
Attestation de médecin
Attestation employeur
Contrats
Photographies
Documents administratifs
Rapport d’expertise
Rapports de détective privé
Quid de la production d’un rapport de détective privé devant le JAF ? Un rapport de détective privé est-il recevable en matière familiale?
Disons-le sans tarder et de manière franche, le droit autorise la production de rapports de détective privé comme pièce de procédure au soutien d’une action civile et ceux-ci sont tout à fait recevables.
La question relative à la recevabilité des rapports d’enquête privée devant un tribunal ne fait plus débat aujourd’hui. Une jurisprudence constante depuis 1962 confirme la recevabilité sui generis des rapports d’enquête, sous réserves toutefois qu’ils présentent les garanties de proportionnalité, d’impartialité, d’objectivité, et que les renseignements mentionnés ou les faits constatés soient circonstanciés, dépourvus de caractère attentatoires et obtenus de manière légale et loyale (absence de fraude ou d’atteinte à la vie privée). Ces conditions remplies, les rapports d’enquêtes produits par un détective agréé sont recevables et peuvent être débattus par les parties et appréciées par le Juge au même titre et dans les mêmes conditions que toutes pièces légalement produites à l’appui d’une demande.
Les rapports de détectives privés servent le plus souvent à étayer une argumentation juridique, défendre un intérêt, soutenir en fait des prétentions ou confirmer des présomptions desquelles peut dépendre la résolution d'un litige. C’est là d’ailleurs leur utilité : ils permettent d’éclairer le débat sur la base d’éléments factuels légalement obtenus.
Aujourd’hui, les rapports de détectives privés en matière familiale sont de plus en plus utilisés, notamment pour prouver un adultère, ou plus globalement une faute conjugale, révéler une carence éducative ou une situation de maltraitance, constater une violation d’un droit parental, établir la réalité d’une situation professionnelle, mettre à jour une dissimulation de patrimoine ou de revenu, démontrer un train de vie dispendieux, une communauté de vie illégitime, un abandon de domicile, ou tout autre élément de fait inhérents à la sphère familiale et dont la justice, à n’en pas douter, en est avide. Le Juge aux affaires familiales (comme tout magistrat d’ailleurs), ne connaissant généralement de l’affaire que ce qui lui est soumis par les parties, peut parfois se montrer très attentif aux rapports de détectives privés pour le simple fait que ceux-ci permettent de dresser un portrait fidèle et circonstancié d’une situation donnée et faciliter, en conséquence, la compréhension objective d’un fait juridique.
Convaincre le juge du bienfondé d’une demande étant l’objectif ultime d’une action en justice, l’expertise d’un détective privé peut constituer un réel levier de réussite et faire toute la différence. De nos jours, de plus en plus de décisions de justice sont motivées sur la base de rapports de détectives privés, conférant à ceux-ci un rôle de plus en plus grand dans le paysage procédural.
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