Concurrence déloyale, pratiques anti-concurrentielles, pratiques restrictives de concurrence : quelle(s) différence(s)?
Souvent amalgamées en raison d’une proximité sémantique qui les caractérisent et d'une affinité matérielle sur laquelle elles s’appliquent (domaine ou droit de la concurrence), la « concurrence déloyale », les « pratiques anti-concurrentielles » et les « pratiques restrictives de concurrence» ne désignent pas les mêmes situations et ne reposent pas non plus (du moins pas totalement) sur les mêmes fondements juridiques. Leur objet, tout comme leur finalité, ne tendent pas à protéger les mêmes droits.
Si la première (concurrence déloyale) vise à sanctionner un comportement particulier d’une entreprise vis-à-vis d’une autre, constitutif d’une faute résultant d’un abus du droit d’entreprendre, lequel suppose une certaine loyauté entre concurrents, la seconde (pratique anti-concurrentielle) repose sur un objet beaucoup plus large et tend à sanctionner une atteinte au principe général de la liberté du commerce, et son corollaire, celui de la liberté de la concurrence. Quant aux pratiques restrictives de concurrence, même si elles partagent avec les pratiques anti-concurrentielles un même substrat juridique, elles s’en distinguent par la finalité recherchée, qui vise davantage à prévenir les déséquilibres pouvant naître dans les partenariats commerciaux.
Concurrence déloyale, pratiques anti-concurrentielles et pratiques restrictives de concurrence : quelles différences ?
La concurrence déloyale
La concurrence déloyale n’est pas à proprement parler un concept figurant ou prévu en tant que tel dans le corpus juridique, mais une notion jurisprudentielle résultant de la transposition au domaine commercial de la « responsabilité civile délictuelle ». La concurrence déloyale désigne des pratiques, des comportements ou des agissements abusifs d’une entreprise à l’égard d’une autre, nécessairement concurrente, causant un préjudice et contraire à l’esprit de loyauté devant animer la relation entre acteurs économiques concurrents. Il s’agit le plus souvent d’une action commise par un concurrent portant atteinte à une autre entreprise appartenant au même secteur d’activité (lien concurrentiel).
Bien que rattaché au domaine du droit de la concurrence, le fondement juridique de la concurrence déloyale est issu du droit civil et repose sur la "responsabilité civile délictuelle". La concurrence déloyale repose essentiellement sur l'article 1240 du Code civil qui dispose: "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." Elle expose son auteur à des dommages-intérêts.
La concurrence déloyale suppose nécessairement trois conditions, lesquelles sont nécessairement cumulatives :
Une faute commise
Un préjudice
Un lien de causalité entre la faute et le préjudice
Avec le temps, la jurisprudence a dégagé un ensemble d'agissements constitutifs de concurrence déloyale. On qualifie ainsi de pratiques déloyales: le "dénigrement", la "désorganisation", l'imitation", la "confusion", le "parasitisme", le "non-respect de clause de non-concurrence", la "complicité de non-respect de clause de non-concurrence", le "débauchage illicite de salarié", le "détournement de clientèle"...(Voir tableau infra)
L’action en concurrence déloyale est, en principe, de la compétence du tribunal de commerce du siège du concurrent. Mais la concurrence déloyale étant une qualification recouvrant des situations protéiformes, cette règle de la compétence juridictionnelle connaît de multiples exceptions. En effet, le demandeur peut aussi choisir la juridiction commerciale du lieu où les faits ont été commis, ou encore celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. De même, si l’action en concurrence déloyale est dirigée contre un non-commerçant (indépendant personne physique, professionnel libéral), dans ce cas c’est le Tribunal judiciaire qui a pleine compétente. Si l’action est portée contre un ancien salarié lié par une clause de non-concurrence, l’action doit être portée devant le Conseil des Prud’hommes. De même dans le cas de complicité de non-respect de clause de non-concurrence, l’action en concurrence déloyale suppose d’abord le passage devant le Conseil de Prud’hommes pour trancher le litige contre l’ex-salarié fautif, avant d’autoriser la sollicitation de la juridiction commerciale contre le concurrent complice. Enfin, si les actes de concurrence déloyale dénoncés s’accompagnent d’une atteinte à un droit privatif relevant de la propriété intellectuelle (ex : contrefaçon), c’est le Tribunal judiciaire spécialisé (Tribunal correctionnel) qui est compétent. Mais rappelons, dans ce cas précis, que l’action en concurrence déloyale contre le concurrent contrefaisant devra nécessairement reposer sur des faits distincts de celle de la contrefaçon. La compétence juridictionnelle de l'action en concurrence déloyale est donc multiple et connaît de nombreuses exceptions à la règle de principe.
Les pratique anti-concurrentielles
A la différence de la concurrence déloyale, qui suppose une faute directe d’une entreprise vis-à-vis d’une autre, les pratiques anti-concurrentielles désignent une entrave plus générale à la marche normale de la concurrence. Ici, c’est tout un secteur qui se trouve touché, ou le cours normal d’un marché qui est faussé.
Les pratiques anti-concurrentielles sont spécifiquement visées à l’article 420-1 et suivants du code du Commerce. Elles sont définies comme tout comportement, action concertée, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, émanant d'une ou de plusieurs entreprises, qui ont pour effet « d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché », dit autrement qui altèrent, entravent ou annihilent le jeu normal de la concurrence.
Sont qualifiées de pratiques anti-concurrentielles:
Les ententes visant à limiter l’accès au marché et au libre exercice de la concurrence;
Le fait de fausser artificiellement la fixation des prix ;
Les ententes monopolistiques destinées à limiter ou contrôler les circuits de production, d’investissement et les débouchés ;
Les exploitations abusives de position dominante ;
Les offres et pratiques de prix abusivement bas.
Une entreprise n’est pas victime directe de pratiques anti-concurrentielles, mais par ricochet : c’est toute la concurrence locale, régionale ou sectorielle qui se trouve altérée. Les pratiques anti-concurrentielles constituent des atteintes au principe général de la liberté du commerce, en faussant son cours normal. Ici, c’est le jeu normal de la concurrence qui se trouve atteint, ou faussé, et non directement une entreprise en particulier. Le but recherché par cette qualification est de promouvoir un équilibre dans le cours normal du commerce.
L’exemple typique d'une pratique anticoncurrentielle est l’entente sur le prix : plusieurs acteurs économiques s’entendent sur la fixation du prix. Une telle convention peut être préjudiciable aussi bien pour d’autres entreprises (atteinte sectorielle) comme pour le consommateur final (entente sur une hausse de prix). Autre exemple de pratique anti-concurrentielle: plusieurs entreprises conviennent d'accords ou s'entendent tacitement dans le but de créer un monopole sur un marché donné, ce qui annihile tout concurrence possible.
En en ce qui concerne les pratiques anti-concurrentielles, ce sont la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et l’Autorité de la Concurrence (ADLC) qui disposent de pleines compétences concernant les instructions, la régulation ou les poursuites.
Pratiques restrictives de concurrence
Les pratiques restrictives de concurrence sont une spécificité du droit français. Elles sont énoncées aux articles L442-1 et suivants du Code du commerce et visent à réguler le rapport entre partenaires commerciaux ainsi que de prévenir les déséquilibres pouvant naître de pratiques abusives, monopolistiques ou de dominance entre acteurs économiques partenaires.
Sont qualifiées de pratiques restrictives de concurrence :
Le fait, pour un partenaire commercial, d’obtenir des avantages disproportionnés ou dénués de contrepartie. Il peut s’agir par exemple d’une facturation d’un service fictif ou manifestement disproportionnée par rapport au service ; ou encore le fait de facturer "en sus" une obligation contractuelle normale déjà prévue par les parties et comprise (ou incluse) dans le contrat.
Le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (il s’agit là d’une transposition dans le droit commercial de la « clause abusive » présente dans le droit de la consommation).
Le fait d’obtenir abusivement ou sous menace de rupture de contrat l’imposition de prix et conditions de vente au partenaire commercial, ou de profiter d’une position dominante pour imposer des prix et des conditions avantageuses sous menace de rupture de contrat.
Le fait de rompre brutalement, y compris partiellement, une relation commerciale établie sans préavis et sans respecter les usages commerciaux habituels (y sont exclues les ruptures pour inexécution ou pour force majeure).
Le fait, pour un distributeur qui est lié par un accord de distribution exclusive ou sélective, de revendre hors réseau.
Les pratiques anti-concurrentielles et les pratiques restrictives de concurrence ne sont pas nécessairement exclusives, mais peuvent se cumuler. Une entreprise peut parfaitement faire l'objet d'une condamnation pour pratiques anticoncurrentielle, en sus d’une répression au titre de pratiques restrictives de concurrence.
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